Couverture du journal du 19/03/2025 Le nouveau magazine

Lydie Arickx : sur le chemin de la Fabrickx

À Angresse où Lydie Arickx travaille depuis 30 ans, la future Fabrickx de cette figure de l’expressionnisme français qui expose actuellement à Anglet, s’imagine en « ruche culturelle pour tous ». Mécènes bienvenus pour ce projet qui n’a jamais été aussi près de se concrétiser.

Lydie Arickx

Son atelier, ancien entrepôt de maçonnerie de son père, devrait muer en un lieu culturel ouvert, fait de cubes et containers. © J. D.

Pendant des mois, du printemps à l’été dernier, elle a peaufiné la cinquantaine de panneaux de 4 mètres de haut, travaillant dessus des papiers photo marouflés, rehaussés de charbon au pinceau géant et à la serpillière, directement au sol. Ce n’est qu’en installant le tout, cet hiver, dans la galerie Pompidou du Centre d’art contemporain d’Anglet, que son œuvre monumentale et immersive en noir et blanc s’est révélée. « C’est la première fois que je découvre ce que j’avais en tête au moment du montage, du dressage », confie la peintre et sculptrice devant ce paysage puissant, de l’infiniment grand à l’infiniment petit. Ceinturant l’espace sur tous ses murs, son Grand Être, carte blanche offerte par la Ville d’Anglet, représente une chaîne de montagnes inspirée du cirque de Troumouse (Hautes-Pyrénées). Un travail de création colossal qui s’apprécie dans le film réalisé par son mari, Alex Bianchi, au cœur de l’atelier d’Angresse, là où le père de l’artiste polymorphe avait jadis son entrepôt de maçonnerie.

Transmettre le « lâcher-prise »

Deux autres œuvres, L’Ogresse mer et La Grosse Mer, entre migrants dans les vagues dévorantes, peaux de vaches et laine de mouton, ont été réalisées pour cette exposition qui court aussi Villa Beatrix Enea, juste en face, avec une mise en lumière d’une vingtaine de pièces, géantes comme L’Homme qui marche, à l’envers, ou minuscules avec son cabinet de curiosités. Une idée du tumulte, de la lumière, de l’évasion, de l’éternité, du mystique, de la vie, de la mort qui collent à l’œuvre épique de cette artiste totale qui figure dans les grandes collections publiques (Musée national d’art moderne, Centre Pompidou…), et expose à l’international depuis les années 1980 (Foire de Bâle, FIAC ou Art Paris, première exposition à New York aux côtés de Francis Bacon en 1988).

Dans cette affaire de famille avec son mari et leur fils César, la native de Villecresnes (Seine-et-Oise), de parents d’origine flamande, aime par-dessus tout témoigner des cycles du vivant, de « la vie dans sa métamorphose, sa dimension métaphysique », « dans un éternel premier jour ».

Son credo de toujours : « Partager la culture, plonger dedans même si on ne sait pas nager », que ce soit par ses performances en direct comme à la Conciergerie à Paris il y a 10 ans ou ses Arborescences au Château de Chambord. Via aussi ses ateliers avec des malades d’Alzheimer, des chefs d’entreprise autour du « lâcher-prise » au son du métal, ou des jeunes comme ceux du collège Élisabeth et Robert-Badinter d’Angresse à qui elle a appris récemment l’art japonais du gyotaku, ces empreintes de poissons sur papier ou tissu.

Lydie Arickx

Lydie Arickx devant le Grand Être, inspiré du cirque de Troumouse (Hautes-Pyrénées) © Alex Bianchi

« L’inattendu merveilleux »

Pas étonnant, par cet ancrage local, qu’elle veuille faire aboutir son méga projet de Fabrickx. Ce nouveau lieu hybride qu’elle rêve pour fin 2025, devrait réunir dans 5 000 m² de cubes et containers, ses œuvres monumentales ainsi que celles d’artistes de tous horizons, afin d’offrir là « une ruche culturelle pour tous publics, vivante et ouverte ». Soutenue par « les institutions locales, régionales et ministérielles qui tiennent à ce projet », l’artiste nommée chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres en 2002, cherche encore des mécènes privés pour boucler ce « gigantesque projet d’une vie ». Jugeant toujours « délicieux de faire des choses impossibles », elle réfléchit aux travaux pour conserver au mieux ses œuvres avec une démolition prévue par la moitié du grand hangar poétique et subjuguant au bout de l’allée arborée et accidentée, mêlant œuvre tauromachique, fantômes de métal, vieil arbre renaissant et pièces géantes en cours de création. « Je vais sans doute y redécouvrir des choses, ça va permettre de faire un inventaire », dit-elle, de son rire contagieux.

En attendant, elle travaille aussi à sa prochaine exposition en plein air, à Hossegor, au printemps prochain, du bord de plage à la passerelle du lac, et à une création pour Bourges 2028, capitale européenne de la culture, dans cette commune du Berry dont elle avait déjà investi le Château d’eau : « Une vie d’artiste, estime-t-elle, est une fluctuation d’événements inattendus. Il faut jouer avec cet inattendu, et c’est assez merveilleux. »

Lydie Arickx

Dans le partage avec des collégiens d’Angresse © J. D.