Couverture du journal du 02/01/2025 Le nouveau magazine

Danielle Justes : une artiste des lieux

Du pavement, lumineux au soleil, sous la Grosse Cloche à Bordeaux à la place de la cathédrale côté légionnaire romain à Dax, l’artiste chalossaise Danielle Justes convoque toujours dans ses œuvres la mémoire des lieux. De l’art public sur les sols, à la rencontre des villes et de leurs habitants.

Danielle Justes

Danielle Justes © J. D.

Sur le sol gris clair de son atelier de Gamarde-les-Bains, Danielle Justes positionne, accroupie, des pierres taillées venues de toute la chaîne pyrénéenne, marbre vert d’Estours, rosé vert ou griotte de Campan, Paloma d’Arudy, Grand antique d’Aubert, rouge du Languedoc… Des couleurs qui auraient dû servir à concevoir quatre « Lithostrates pyrénéens », bancs géants d’une trentaine de mètres de long au total, pour contempler les montagnes sur le boulevard des Pyrénées à Pau, en Béarn voisin. Un projet suspendu que la mosaïste et « artiste des lieux » espère voir ressurgir lors d’un nouveau mandat, elle qui a passé sa vie à intégrer de l’art dans l’aménagement urbain ou paysager, depuis son retour dans les Landes après ses années parisiennes.

Recherche d’archives et témoignages

La native de Gamarde-les-Bains a fait les Beaux-Arts dans les années 1970, élève du peintre vénitien Riccardo Licata qui transposait la voix de sa femme chanteuse lyrique en mosaïques traditionnelles. Elle suit aussi alors l’université expérimentale de Vincennes, ouverte aux non-bacheliers et aux travailleurs, au côté notamment d’intellectuels chiliens ayant fui la dictature de Pinochet. De cette époque, elle a, entre autres, appris l’humilité et l’aspect si fragile de la liberté. La matière vivante, les explorations, les recherches d’archives et de témoignages, elle en fait alors son quotidien pour donner du sens aux lieux qu’elle investit. En travaillant l’espace mémoriel.

Le dallage artistique sous la Grosse Cloche de Bordeaux, au début de la rue Saint-James, qu’elle a créée en 2007 avec toute une équipe de poseurs, n’est, ainsi, pas un simple décorum. Les rayures obliques vers le cours Victor-Hugo représentent l’expansion du son de la cloche. Elle a d’ailleurs travaillé le sujet avec le carillonneur de Buglose : « Il m’a montré comment le son bloque dans l’espace étroit et fait des angles très ouverts et très fermés, ça coïncidait avec mon idée de direction « en arête de poisson », ce qu’il m’expliquait confortait mes premières esquisses. J’ai fait des sauts comme ça ! » Les lames d’inox qui densifient la structure, rappellent, elles, les anciennes fortifications disparues. Le passant souvent l’ignore mais celui qui sait, a ce petit plaisir en plus en déambulant dessus.

Danielle Justes

Résonnance de la Grosse Cloche à Bordeaux © D. R.

Commandes publiques et privées

Même recherche de sens quand elle conçoit, sur le cours Victor-Hugo, ex-site de fouilles antiques, ses trois sarcophages, monolithes en granit noir et blanc, qui font aujourd’hui la joie des skateurs… à deux pas de grilles d’arbres mémorielles qu’elle a dessinées, puis sculptées à partir de détails de moulages des troncs des vieux tilleuls abattus lors du réaménagement du cours. « Je ne fais pas une mosaïque pour une mosaïque ou une œuvre pour une œuvre, il faut que ça joue avec quelque chose, dans une construction de rencontres entre une ville et ses habitants, une équipe et une artiste. »

Via le 1 % artistique dans la commande publique, Danielle Justes a également investi un mur entre le restaurant et les toilettes du collège Cel-le-Gaucher à Mont-de-Marsan (2012), autour des Condorcet, mari et femme et d’un texte, gravé dans l’œuvre, où cet intellectuel en politique parle d’égalité des sexes au XIXe siècle, éclatant dans la lumière du soleil qui fait vivre l’ensemble dans un effet miroir.

À Dax, c’est encore une histoire de passé et de présent qui se joue, avec le Damier aux emblemas, qui revient sur la légende du légionnaire romain retrouvant, après une campagne en Espagne, son chien vif grâce aux boues bienfaitrices de l’Adour dans la future cité thermale. Mais les travaux actuels de réseaux d’assainissement avant la réfection de la rue Saint-Vincent l’inquiètent sur le devenir de son œuvre qui date de 2000, et elle multiplie les rendez-vous en mairie.

Danielle Justes

Le Damier aux Emblemas, place de la cathédrale à Dax © D. R.

2 500 heures de travail

À Bayonne, son pavement aux armoiries devant l’hôtel de ville, inauguré en 1992, a été cassé sans qu’on lui demande son avis et l’artiste est en pourparlers amiables pour concevoir une autre œuvre au stade Jean-Dauger… « La propriété de l’œuvre matérielle appartient à la mairie mais la propriété intellectuelle m’appartient. Les politiques n’ont parfois pas assez de respect pour les artistes qui ne sont pas payés à la hauteur de leur travail alors que mes grands chantiers représentent en moyenne 2 500 à 3 000 heures de travail », déplore celle qui œuvre aussi pour des commandes privées dans des sites et villas remarquables. À Arcangues sur la terrasse de l’ancienne « Etche » de Luis Mariano, elle a déployé un pavement d’orientation monumental face à la chaîne des Pyrénées basques, comme un nouveau terrain de curiosité entre lames de pierres et couleurs géologiques incrustées des principales montagnes. Façon, une fois encore, de donner du relief à des sols que le commun des mortels imagine souvent trop plats.

Danielle Justes

Débarcadère à la Lyre au parc Majolan de Blanquefort © D. R.

Sculptures horizontales, verticales et mobilier urbain

Parmi ses œuvres, figurent :

Les Emblemas de la place de la Liberté à Bayonne (1992), aujourd’hui détruits

Le Soleil noir de la mélancolie aux Thermes Jean-Nouvel à Dax (1992)

Le Damier aux Emblemas, place de la cathédrale à Dax (2000)

Débarcadère à la Lyre, Les mains de l’œuvre et conservation et restauration du pont en faux bois de la grotte (2005) au parc Majolan, jardin remarquable de Blanquefort (Gironde)

Résonnance de la Grosse Cloche, Graphes flamboyants (grilles d’arbres) et Mithra les Carmes cautopates (2002-2007) à Bordeaux, cours Victor-Hugo

Passages, voyages… (2009) à l’hôtel Pullman Sofitel à Toulouse

Sophie de Grouchy et Condorcet (2012) au collège Cel-le-Gaucher à Mont-de-Marsan

Vagues, montagnes et nuages (2014), dans les chais du Château du marquis d’Alesme, à Margaux (Gironde)