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Moins de voitures dans les villes moyennes

De nombreux maires élus lors des élections municipales de 2014 promettaient davantage d’espace dévolu, dans les villes, aux voitures individuelles. Cinq ans plus tard, ils ont changé d’avis, et découvrent les vertus des transports publics, de la marche et du vélo.

Comment se déplace-t-on dans les villes moyennes ? C’est la question à laquelle a voulu répondre la Fédération nationale des usagers des transports publics (Fnaut), lors d’une journée de débats organisée à l’Assemblée nationale, le 10 octobre. C’est une première. Il y a cinq ans encore, la tenue d’un tel colloque aurait été impossible. Car la question ne se posait pas. Dans les préfectures et les sous-préfectures, le mot « déplacement » se disait encore « circulation ». Élus, responsables de l’administration municipale, commerçants, associations rassemblant les maires, tous étaient unanimes : « Chez nous, tout se fait en voiture ». Le réseau de bus était considéré par les décideurs comme un service accessoire, réservé à trois catégories d’habitants qui ne possèdent pas ou plus de véhicule : les enfants et adolescents fréquentant un établissement scolaire, les personnes âgées et les familles vivant de minima sociaux. La marche n’était jamais pensée comme un mode de déplacement, le vélo ignoré.

VILLES MOYENNES APAISÉES

De nombreux maires élus en 2014 avaient d’ailleurs une ambition claire : « faire revenir la voiture en ville », comme si elle en avait disparu. Constatant qu’une partie des commerçants se limitaient à dire « on ne peut plus se garer », ils pensaient avoir trouvé là une recette miracle pour sauver la ville de son déclin. Olivier Gacquerre, maire (UDI) de Béthune (25 200 habitants, Pas-de-Calais), était de ceux-là. En avril 2014, une semaine à peine après son élection, il transforme une partie de la Grand-Place, piétonne depuis des décennies, en parking, et annonce que les automobilistes peuvent de nouveau en faire le tour. Ces deux dispositifs n’ont pas été suspendus depuis. Mais, cinq ans et demi plus tard, Olivier Gacquerre explique devant les adhérents de la Fnaut qu’il faut développer, dans les villes de la taille de Béthune, « des alternatives à la voiture ». Dans l’ancien bassin minier du Pas-de-Calais, elles passent par un bus disposant d’une voie réservée, par la piétonnisation de certaines voies, une réfection de l’espace public ou encore l’usage du vélo. Les dérèglements climatiques ont marqué le maire : « En un mandat, j’ai connu des inondations, des canicules et la sécheresse ». Par ailleurs, les villes moyennes, éclipsées par les métropoles régionales, ont besoin de se différencier et d’apparaître comme « apaisées, résilientes, proposant des espaces verts et un cadre de vie », expose Olivier Gacquerre. Et ceci n’est pas vraiment compatible avec « la prédominance de la voiture ».

VOIES DÉDIÉES AU COVOITURAGE

Béthune n’est pas une exception. Maire (PS) de Bourg-en-Bresse (41 400 habitants, Ain), Jean-François Debat assume une politique visant à réduire les flux motorisés aux entrées de ville : « Continuer d’aménager nos villes pour assurer que chacun, en voiture, ne perde pas une minute le matin, c’est une fuite en avant ». L’édile mise sur les transports publics, bien sûr, mais « à condition de faire monter les cols blancs dans le bus ». Il ajoute que, dans cette perspective, ce n’est pas la gratuité des transports qui est susceptible de convaincre les cadres, mais la qualité du service. Le covoiturage, ou « Blablacar territorial » peut fonctionner, assure encore le maire de Bourg-en-Bresse, « si on crée des voies dédiées où ne seront acceptés que les véhicules contenant au moins trois personnes ». Jean-François Debat affirme enfin avoir mis en place dans sa ville « une piste cyclable bidirectionnelle et un système de location de vélos en libre-service ».

RESSERRER LA VILLE

Mais, encore faut-il que l’aménagement des villes moyennes se prête à ces modes alternatifs. Et cela dépend moins de l’offre en transports que de la forme urbaine. La ville étalée privilégie les longues distances et la voiture individuelle. La ville resserrée facilite, en revanche, la desserte par les transports publics, l’usage de la marche et du vélo. Or, pour l’instant, la tendance demeure à l’étalement urbain. « La croissance périurbaine d’une ville comme Amiens s’effectue à 80 % en dehors des corridors ferroviaires », ce qui implique principalement l’usage de la voiture individuelle, constate le géographe Francis Beaucire. Pour une métropole comme Rennes, l’étalement loin des voies de chemin de fer, dépasse les 60 %, ce qui est déjà beaucoup. « De nos villes, on a sorti tous les équipements, les commerces, l’habitat », observe Olivier Gacquerre. « Les villes sont bâties sur les logiques privilégiant la voiture », corrobore Jean-François Debat.

VERS UN NOUVEL ÉQUILIBRE

Dès lors, « il faudra du temps » pour réorganiser l’espace urbain, admettent les élus. Personne ne propose de « sortir la voiture de la ville », comme le caricaturent encore quelques polémistes. Mais, tous plaident pour un « rééquilibrage ». Le Cerema, Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, fournit aux élus quelques arguments. Tout d’abord, non, « tout le monde » ne possède pas de voiture dans une agglomération de taille moyenne.
20 % des adultes n’en ont pas, ce qui est certes moins que dans les capitales régionales (29 %), mais pas négligeable. Ensuite, « tout le monde » ne l’utilise pas tous les jours : 33 % des déplacements se font sans voiture. Le Cerema précise également que, contrairement aux idées reçues, la moitié des clients des commerces de centre-ville, au nom desquels il est tentant d’aménager des rocades et parkings, arrivent sans voiture, en bus ou à pied.

Compte tenu de leurs spécificités, les villes moyennes doivent-elles, pour rendre l’espace public aux habitants, opter pour une stratégie différente de celles des grandes villes ? Non, répond Jean Sivardière, ancien président de la Fnaut. « Ce sont les mêmes méthodes. À ceci près que dans les villes moyennes, les distances sont moins importantes, ce qui doit favoriser le recours à la marche et au vélo. Et comme la population est moins importante, le transport lourd, métro ou tramway, n’est pas nécessaire ».