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Le marais d’Orx face au changement climatique

Multiplication des inondations et des évènements météorologiques intenses, perturbations des mouvements migratoires et détérioration des infrastructures, le marais d’Orx subit depuis quelques années les affres du changement climatique. De quoi fragiliser un écosystème d’une grande biodiversité qui joue un rôle important sur le secteur sud-Landes.

Marais d'Orx

© Réserve Marais d'Orx

Un ciel azur, un soleil perçant et un marais qui se déleste lentement du brouillard épais qui l’enveloppait au petit matin. C’est une belle journée d’hiver qui se dessine sur la réserve naturelle du marais d’Orx. Mais ce tableau idyllique d’une oasis de nature préservée n’a rien d’immuable. En effet, l’an dernier, à la même période, le site était sous les eaux après des averses diluviennes. Avec 496 mm de pluie enregistrés en décembre 2020, le marais a subi des inondations majeures. Le 5 décembre, pas moins de 124 mm de pluie s’abattaient sur le marais, occasionnant d’importants dégâts, en particulier sur les digues. Cet épisode exceptionnel d’intempéries faisait suite à une fin d’année 2019 déjà marquée par les inondations. Face à la répétition de ces scénarios catastrophes, l’impact du changement climatique se précise de manière de plus en plus nette et la préservation de cet écosystème précieux devient un enjeu.

UNE ZONE HUMIDE MAJEURE

Géré par le syndicat mixte de gestion des milieux naturels des Landes depuis 2004, le marais d’Orx est constitué d’un complexe d’étangs d’environ 600 hectares, de milieux humides sur 400 hectares, entourés de près de 5 000 hectares de zones humides. « Il joue un rôle de régulation du climat car, en tant que zone humide, il stocke de grandes quantités de carbone, explique Florent Lagarde, garde technicien sur le site depuis 2014. Préserver ce type d’écosystème est primordial dans la lutte contre le changement climatique. Il faut savoir que depuis le XVIIe siècle, on a perdu entre 80 % et 90 % des zones humides en France. Ce qui reste aujourd’hui fait figure de reliques ». Pour cette partie du sud-ouest du département, le marais d’Orx représente un véritable poumon dont la réputation dépasse largement les frontières des Landes. « Le marais fait partie des trois sites du Conservatoire du littoral les plus importants d’Aquitaine, avec le domaine de Certes en Gironde et le site d’Abbadia au Pays basque, souligne Yohann Montane, guide technicien. Le marais d’Orx a un rayonnement international. Avec 293 espèces d’oiseaux, il a une valeur patrimoniale naturelle, mais aussi une vraie valeur historique. » En effet, si la faune et la flore présentes sur le marais sont remarquables, les infrastructures, comme par exemple, les pompes hydrauliques construites en 1863 sous Napoléon III, le sont tout autant.

La faune présente sur le site subit, elle aussi, les conséquences du changement climatique

Marais d'Orx

Le marais d’Orx est un ancien polder, une étendue artificielle de terre gagnée sur l’eau © Réserve Marais d’Orx

UNE GESTION HYDRAULIQUE DIFFICILE

Aujourd’hui, cet ensemble fait face à des aléas météorologiques de plus en plus intenses. « Pendant très longtemps, nous avons bénéficié d’un climat équilibré, avec l’influence de l’océan, mais des changements importants sont à l’œuvre, affirme Yohann Montane. On constate depuis quelques années que le nombre d’évènements exceptionnels –qu’il s’agisse d’épisodes de sécheresse ou de fortes pluies– augmente. » Lors des inondations qui ont touché le marais d’Orx fin 2020, pas moins de 40 points de surverses ont été dénombrés. Et si une brèche dans la digue a pu rapidement être réparée, il a fallu cinq mois pour que le marais retrouve un niveau d’eau normal. « Passer de 4,5 mètres d’eau à 1,6 mètre sur un seul bassin, ça demande du temps. Et il faut savoir qu’en cas d’inondations fortes et répétées, on perd la maîtrise du polder, pointe Yohann Montane. Et on sait que, dans le futur, les digues vont de plus en plus souvent être mises à rude épreuve. »

Pour les deux guides naturalistes, l’impact du changement climatique est renforcé par un autre phénomène : la capacité d’absorption des sols qui est profondément amoindrie par l’urbanisation intensive, mais aussi la gestion de la forêt et des cultures. « Nous avons eu des années où il pleuvait 27 jours au mois de novembre, mais c’était de la bruine et les sols parvenaient à absorber l’eau. Depuis quelques années, le nombre de jours de pluie diminue mais on garde la même quantité, voire parfois un peu plus. Ce phénomène a un impact important sur les débits en crue et les étiages », détaille Yohann Montane.

LES OISEAUX VERS DE NOUVELLES LATITUDES

Si la préservation du marais tel qu’on le connaît actuellement devient plus complexe, la faune présente sur le site subit, elle aussi, les conséquences du changement climatique. Notamment les oiseaux qui vivent ou sont de passage dans cette réserve ornithologique. « Nous constatons qu’il y a des espèces qui sont de moins en moins présentes sur la réserve naturelle pendant l’hiver, note Florent Lagarde. C’est le cas, par exemple, des oies cendrées dont le centre de la zone d’hivernage a tendance à remonter vers le nord, notamment en Allemagne, au Danemark et aux Pays-Bas, tout simplement parce que les hivers sont moins rigoureux et les vagues de froid moins fréquentes. De leur côté, les grues cendrées qui, auparavant, descendaient passer l’hiver dans le sud de l’Espagne et du Portugal s’arrêtent maintenant plus au nord. Résultat, depuis 2013, nous avons des grues cendrées qui passent l’hiver sur le site. »

A contrario, certaines espèces étendent leur aire géographique vers le nord car les conditions sont de plus en plus favorables. C’est le cas par exemple de l’ibis falcinelle qui vient du bassin méditerranéen et que l’on trouve désormais sur la façade atlantique. Dans ce cas, il ne s’agit pas de changement de migration mais véritablement de l’extension de la zone de vie d’une espèce, poussée par le réchauffement climatique.

Un plan de gestion, élaboré sur la base d’un diagnostic écologique et socioculturel, va être déployé début 2022

« Dans le monde des oiseaux, il y a des espèces qui ont une capacité d’adaptation assez large et d’autres, malheureusement, plutôt réduite, constate Florent Lagarde. Sur la réserve, nous avons des migrateurs de très long cours, notamment des limicoles. Certaines de ces espèces nichent dans les toundras, voire dans l’Arctique, et leur survie est intimement liée aux cycles de vie des insectes. Aujourd’hui, avec le changement climatique, ces cycles sont décalés, ce qui perturbe profondément les populations de limicoles à l’échelle du globe. » On dénombre dès lors un nombre grandissant d’espèces sur le déclin.

UN ÉCOSYSTÈME MENACÉ

Mais les oiseaux ne sont pas les seuls animaux à subir les aléas météorologiques. La faune terrestre du marais est, elle aussi, impactée. « Les rongeurs sont des animaux qui se reproduisent rapidement et qui peuvent vite recoloniser un site, poursuit Florent Lagarde. Toutefois, si on avait tous les ans des inondations très fortes comme en 2020, l’impact serait certain sur les rongeurs et, par ricochet, sur leurs prédateurs. Cela vaut aussi pour les insectes. Si les prairies restent sous l’eau pendant un ou deux mois, les populations de criquets et de sauterelles souffrent. »

Plus un milieu est riche en biodiversité et plus il est résilient aux changements

Par ailleurs, les changements climatiques auront des répercussions sur la qualité de l’eau pouvant favoriser le développement de divers organismes aquatiques comme les cyanobactéries. Il y a forcément un impact sur l’écosystème comme le manque d’oxygène pouvant entraîner des mortalités de poissons, mais cela peut aussi se traduire par une augmentation de la biomasse en micro-organismes dans l’eau et, par conséquent, une augmentation de la capacité alimentaire du plan d’eau, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose pour certaines espèces qui arrivent à en tirer profit.

Marais d'Orx

Depuis deux ans, des flamants roses sont observés sur la réserve pendant la saison hivernale © Réserve Marais d’Orx

DE LA DIFFICULTÉ DE PRÉVOIR

Mais face aux conséquences de plus en plus tangibles du changement climatique, quelles sont les solutions ? Pour Yohann Montane, « la question qui se pose aujourd’hui est comment faire pour maintenir techniquement et financièrement un système de polders dans un contexte de changement climatique ? De manière pragmatique, si les digues doivent être submergées plusieurs fois par an, on aménagera peut-être une zone plus basse de surverse afin que l’eau entre à un endroit plutôt qu’à 10. On limitera ainsi les dégâts. » L’équipe gestionnaire du site à conscience qu’il est impensable de réaliser des travaux lourds -à base de béton- sur la réserve naturelle. Le choix est donc de privilégier des solutions souples pour pouvoir s’adapter à la réalité de la réserve naturelle et aux changements qu’elle subit.

Un plan de gestion, élaboré sur la base d’un diagnostic écologique et socioculturel et validé par un conseil scientifique régional, va être déployé début 2022. Il a été pensé sur 10 ans contre cinq ans auparavant pour être plus en phase avec les cycles de la nature. Parmi les opérations au programme de ce plan de gestion : le suivi scientifique continu du milieu naturel comprenant les observations régulières de la faune et de la flore. Une démarche qui va permettre une importante bancarisation de données. Ces dernières seront particulièrement précieuses pour tenter de mieux comprendre l’impact du changement climatique sur cet écosystème.

« C’est extrêmement compliqué de faire des projections, souligne toutefois Florent Lagarde. On sait seulement que si le polder venait à disparaître, les niveaux d’eau seraient plus hauts et cela aurait une répercussion sur la faune et la flore. Les espèces qui vivent là où le niveau d’eau est normalement bas ne resteraient pas ici, c’est sûr. Et si elles venaient à sortir des limites administratives du marais, on ne pourrait alors plus assurer notre mission de préservation. Une des seules certitudes que nous ayons est que plus un milieu est riche en biodiversité et plus il est résilient aux changements. C’est pour cette raison que nous nous efforçons de faire un travail de pédagogie auprès des visiteurs, mais aussi des riverains. Nous voulons que les gens comprennent que le travail que nous faisons ici a un impact positif sur eux. »

LES GRANDES DATES DU MARAIS D’ORX

Le marais d’Orx est une entité géologique dont la création remonte à 3 millions d’années. En 1808, Napoléon Ier ordonne l’assèchement du marais. Des systèmes de pompage sont alors installés pour permettre le développement de la culture du maïs. Dans les années 1980, le dernier propriétaire privé cesse petit à petit l’activité agricole et laisse les eaux reconquérir les terres jadis asséchées. En 1989, le Conservatoire de l’espace du littoral et des rivages lacustres décide de racheter le domaine. Le site est ensuite classé réserve naturelle nationale en 1995 et intègre le réseau européen Natura 2000. Depuis octobre 2011, le marais d’Orx bénéficie du label Ramsar relatif aux zones humides d’importance internationale.