Couverture du journal du 06/04/2024 Le nouveau magazine

Le pain au naturel

Ils sont de plus en plus nombreux à retravailler le levain naturel dans les Landes, pour du bon pain à l’ancienne. Rencontre avec ces boulangers, artisans du temps long, dans un marché en développement.

Boulanger

Stéphane Chauvard, à Castets © Bernard Dugros

Dans ses grandes armoires réfrigérées, derrière le comptoir du Pain d’ici à Castets, poussent tranquillement, dans de grandes bassines, les levains de seigle, de petit épeautre, de blé et de lait pour la brioche. De farine en eau tiédie, de bactéries en bulles et fermentation, Stéphane Chauvard bichonne ses levains, les travaille au quotidien pour leur donner du caractère. Avec ses analyses de farine, ses pétrins à bras plongeants pour moins oxyder la pâte et garder au mieux la qualité nutritionnelle, ses mélangeurs doseurs avec refroidisseur d’eau pour obtenir exactement la température qu’on veut, le pain ne se fait ici jamais au doigt mouillé, mais de façon quasi-scientifique. Deux jours sont nécessaires avant de mettre en cuisson ces miches qui se conserveront ensuite plusieurs jours. « On peut dire qu’on fait de la biochimie pour réaliser du pain à l’ancienne », dit le néo-boulanger, tombé dans les farines bio au fil des hasards de la vie.

DE MADAGASCAR À CASTETS

Originaire des Yvelines, il intègre après le baccalauréat, l’European Business School à Paris. Pour un stage de direction l’été, le voilà au VVF des Estagnots à Seignosse où il avait déjà découvert le surf plus tôt. Le jeune homme préfère abandonner son école de commerce pour devenir animateur sportif à Vielle-Saint-Girons et faire les saisons, montagne l’hiver, plage l’été. « La région m’a séduit, le surf, l’ambiance… ». Mais le goût du voyage l’amène à Madagascar où il développe des projets de commerce équitable (ateliers bijouterie à base de graines avec des handicapés, vannerie avec des femmes rizicultrices) ainsi qu’une société textile de tee-shirts décorés de baobabs, lémuriens et taxi-brousse. Le coup d’État de 2009 mettra à mal ses finances, et après avoir travaillé dans une ONG et une association de broderie à la main avec des femmes en précarité, il finit par rentrer en France avec sa famille, ses trois enfants étant nés sur l’île de l’Océan indien.

Boulanger

Au Pain d’ici, à Castets, les salariés ont choisi leur formule de temps de travail, alternant des semaines à 4 ou 5 jours et plus © Bernard Dugros

Le cadre landais est alors une évidence. Vendeur de fenêtres à Bénesse-Maremne pendant six mois sans en vendre une (!), le hasard lui fait rencontrer, lors d’une soirée, un boulanger de Herm, fabricant de pain au levain. « J’ai repris toutes les données chiffrées, le coût de la farine, les marges, tout le modèle économique, ça ne me semblait pas bête. En plus, déjà à Madagascar, je bricolais mon pain.

De farine en eau tiédie, de bactéries en bulles et fermentation, ils bichonnent les levains au quotidien pour donner du caractère au pain

Mais j’avais zéro capital à investir », se rappelle Stéphane Chauvard qui se lance en 2016 grâce au « plan 500 000 formations » de François Hollande pour les demandeurs d’emploi, et passe son CAP boulangerie en adulte au Centre de formation des apprentis (CFA) de Mont-de-Marsan. Durant son stage à Saint-Vincent-de-Tyrosse, son patron, boulanger conventionnel, lui permet d’utiliser son matériel pour faire du pain au levain naturel, le vendredi : « Je faisais ma tournée, il fallait que je vende 30 pains de 500 g pour payer ma farine ! »

SEMAINE DE QUATRE JOURS

En parallèle, il monte son entreprise à Castets dans un local de 20 m2, avec un prêt bancaire de 20 000 euros, et vend très vite chez Biotinel et dans des Biocoop landaises. Aujourd’hui, Le Pain d’ici, c’est 600 000 euros de chiffre d’affaires et une trentaine de dépôts-ventes, de Mimizan à Linxe, de Tosse à Léon où il a ouvert une deuxième boutique, avant peut-être une troisième bientôt à Saint-Julien-en-Born. Celui qui reçoit régulièrement des stagiaires de l’École internationale de boulangerie des Alpes de Haute-Provence, une référence absolue en boulangerie bio au levain, fournit aussi des chefs, chez Coussau à Magescq ou Goustut à Capbreton.

Boulanger

© Bernard Dugros

Seul à ses débuts, il a désormais sept salariés (« payés bien au-delà du Smic, autour de 2 000 euros nets pour 32 à 35 heures par semaine ») auprès de qui il s’engage pour la réduction de la pénibilité. Ici, on tourne sur tous les postes pour lutter contre la monotonie et on travaille deux semaines de quatre jours avec trois jours consécutifs de week-end, deux semaines de cinq jours, puis une semaine longue avec quatre heures de travail le samedi et trois heures le dimanche. Très peu d’horaires de nuit (13 heures par mois) dans ces plannings qui ont été votés par les employés sur trois propositions différentes d’organisation.

Un engouement sur le pain bio pour le goût, la longue conservation et la santé

DES VARIÉTÉS ANCIENNES DE BLÉ

Pour suivre en production à mesure de la demande, Le Pain d’ici a dû déménager au printemps 2020 dans des locaux plus grands (80 m2) sur la rue principale de Castets, mais l’équipe y est déjà un peu à l’étroit. Stéphane Chauvard qui a eu la chance de renouveler son contrat énergie au printemps dernier avant les hausses, veut donc acquérir un terrain sur la commune pour éco-construire un bâtiment avec un grand fournil et un café-snack en 100 % local et de saison. Un investissement d’un million d’euros qu’il espère voir démarrer en fin d’année. Cerise sur le gâteau, il entend y accoler un moulin pour écraser le blé des paysans voisins et disposer de sa propre farine, lui qui jus qu’ici s e fournit chez Pichard, moulin bio des Alpes-de-Haute -Provence.

« Un dilemme car ce n’est pas local, mais la qualité est incomparable. » Leur moulin à vent, le seul des Landes, les membres des Ailes bénessoises l’ont, eux, restauré il y a quelques années à Bénesse-lès-Dax et il moud du maïs et du sarrasin bio pour des pains vendus depuis 2020 sur place et dans d’autres points de vente dont les Halles de Dax. Les nouveaux boulangers ont même été aidés au départ par Anne-Cécile Barbier des Chemins du pain à Cauneille, qui continue, de son côté, de régaler les Landais de ses miches bio, présentes sur plusieurs marchés des environs depuis bientôt 10 ans.

Pas de moulin en vue à la boulangerie biologique La Vapeur à Labenne, ouverte il y a tout juste trois ans. Ici, Véronique Wegner (en production) et son homme Paulo Costa (à la vente) se fournissent chez la référence Pichard dans le Sud-Est et aussi à Lectoure (Gers) pour les variétés anciennes de blé en biodynamie de Patrice Bounet.

« C’était difficile de trouver dans le coin du bio dans les quantités voulues », explique la boulangère qui se mit au pain bio en Haute-Savoie il y a une dizaine d’années avant de revenir en pays landais où elle a passé son enfance.

UNE DEMANDE FORTE, UN DÉVELOPPEMENT RAPIDE

« On a eu un démarrage et un développement très rapides sur les deux premières années et on continue à progresser gentiment en étant au maximum de notre potentiel avec nos quatre salariés qui forment une super équipe », fait valoir cette ancienne du service à la personne au centre intercommunal d’action sociale du Seignanx, avant de se former à l’École internationale de boulangerie, en plus de son CAP passé en candidat libre au CFA de Mont-de-Marsan.

Dans cette affaire qui tourne et fournit , entre autres, la Biocoop de Capbreton ou la Villa Seren à Hossegor, pas de baguette ni de chocolatine, mais des pains de 400 g à 1 kg, des brioches et biscuits entièrement faits sur place : « On essaie de couvrir tous les goûts, avec du pain alvéolé à la belle croûte, d’autres aux indices glycémiques bas et riches en fibres… On sent un engouement sur le pain bio en termes gustatif. Nous cherchons avant tout la qualité des ingrédients, des matières premières, et de longues fermentations qui pourraient être plus favorables à une bonne santé, en aidant à la dégradation du gluten et à une meilleure digestion, en comparaison avec les pains réalisés de manière rapide ou industrielle. »

Même discours chez Olivier Billaud qui a quitté la viticulture après 10 millésimes, « écoeuré par les pesticides », pour reprendre le flambeau du pain à l’ancienne que fabriquait son père charentais.

Boulanger

© Bernard Dugros

À Doazit, près d’Hagetmau, celui qui déplore que le nom levain soit « galvaudé par des règlementations bizarres », a petit à petit intégré ces matières naturelles à sa production, pour « de longues fermentations et des pains qui se conservent, ont du goût et sont meilleurs pour la santé en digérant ce que notre corps ne réussirait pas à digérer. »

« Au départ en 2007, je n’avais pas encore découvert les farines paysannes et bio, mais depuis 10 ans, je développe beaucoup cette partie », dit-il, vendant, en plus de sa boutique, dans les Amap (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne) de Montfort-en-Chalosse et Dax et chez les locavores de la Ruche qui dit oui. « Avant, le dimanche, je passais 400 baguettes simples, les gens ne voulaient que ça, mais maintenant je passe plus d’une centaine de mes pains spéciaux aux courges, noix et maïs. Chaque jour, le marché de mes pains au levain naturel grignote sur la baguette. »

Boulanger

© Bernard Dugros

CRISE DE L’ÉNERGIE SOUTIEN RENFORCÉ AUX BOULANGERS

Les boulangers qui alertent depuis plusieurs semaines sur la mise en péril de leur activité par la flambée des coûts de l’énergie et des matières premières, semblent avoir été entendus.

Le 3 janvier, à l’issue d’une réunion avec les fournisseurs d’énergie, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a informé la profession que ceux-ci s’étaient engagés à accepter de résilier sans frais les contrats dont les montants ont « explosé » pour permettre de négocier des contrats plus avantageux auprès d’un autre fournisseur.

Le bouclier tarifaire, entré en vigueur au 1er janvier, complète le guichet d’aide au paiement des factures d’électricité et de gaz (sur le site impots.gouv.fr.) qui est maintenu en 2023. Pour les PME dont les dépenses d’énergie représentent au moins 3 % du chiffre d’affaires 2021, avec une hausse de leur facture de plus de 50 % par rapport au prix moyen payé en 2021, ces deux mesures cumulées « peuvent permettre de bénéficier jusqu’à 40 % d’aide », selon le ministère de l’Économie. Un dispositif conforté par des mesures ponctuelles de report du paiement des impôts et cotisations sociales, annoncées par la Première ministre, Élisabeth Borne, le même jour.

Le gouvernement a également demandé à chaque préfecture de « faire preuve d’une vigilance accrue » pour les boulangers dans le cadre des points d’accueil dédiés aux entreprises en difficulté. (contact : codefi.ccsf40@dgfip.finances.gouv.fr 05 58 46 61 31) La chambre de métiers et de l’artisanat Nouvelle-Aquitaine mobilise de son côté son équipe de conseillers pour accompagner les artisans sur l’optimisation du contrat d’énergie, la mise en concurrence des fournisseurs, le suivi et la maîtrise des consommations et l’identification des aides potentielles (contact : s.perbost@cma-40.fr 05 58 05 81 97).