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[ Interview ] Thomas Mollet, apiculteur à Pontenx-les-Forges : l’apiculture dans la tourmente

Changement climatique, problèmes sanitaires, difficultés économiques, les abeilles et la filière apicole font face à des problématiques complexes. Mais, dans ce contexte, il existe des acteurs engagés pour faire valoir le rôle primordial de l’abeille et promouvoir une activité responsable et durable. Rencontre avec Thomas Mollet, un apiculteur passionné, installé dans le nord des Landes.

Les Ruchers du Born Thomas Mollet apiculteur

Les Ruchers du Born Thomas Mollet apiculteur © D. R.

Les Annonces Landaises : Vous êtes apiculteur depuis 2000 et, en 2012, vous êtes venu vous installer dans les Landes, à Pontenx-les-Forges. Quelle est la spécificité du miel des Landes ?

Thomas Mollet : Aux Ruchers du Born, structurés en Groupement agricole d’exploitation en commun (Gaec), nous sommes deux associés et deux salariés permanents. Nous avons environ un millier de ruches. Elles sont réparties sur le nord de la forêt landaise en ruchers fixes et en ruchers transhumants. Nos miels sont issus d’un élevage apicole de type fermier. Nous produisons de la miellée d’acacia, de la miellée de bourdaines au printemps, quand il n’y a pas de gel. Nous avons également des miellées de ronce, de bruyère et, à l’automne, des miellées de callune et d’arbousier. Nous travaillons avec la flore sauvage des Landes et ce sont ces fleurs typiques de notre région qui donnent toute leur typicité aux miels des Landes.

LAL : La récolte 2021 est-elle un bon « cru » ?

T.M. : On cherche à faire des miels mono-floraux, c’est-à-dire à séparer les miellées mais, depuis trois ou quatre ans, c’est devenu très compliqué. Le changement climatique rend la tâche ardue. Les abeilles passent d’une fleur à l’autre dans une même période et nous sommes donc contraints de produire de plus en plus de miel toutes fleurs. Ce n’était pas le cas il y a encore quelques années. On ne sait pas s’il s’agit d’un phénomène ponctuel ou si ça va durer. 2020 a été une année record en France pour la production de miel et cette année, au niveau national, elle n’est pas bonne du tout. Dans les Landes, c’est une saison moyenne. On a eu beaucoup de pluie, ce qui est plutôt favorable aux miellées de la forêt. Après, nous avons encore les miellées tardives qui peuvent un peu changer la donne et le bilan final de la saison.

Abeille sur fleur de bourdaine, apiculture

Abeille sur fleur de bourdaine© D. R

LAL : Comment expliquez-vous une telle disparité de production d’une année à l’autre ?

T. M. : Les variations de productions sont principalement dues au changement climatique. Les températures assez basses de cet été n’ont pas été favorables à la production de miel. Quand il fait trop froid, les fleurs ne « nectarifient » pas bien et c’est probablement ce qui a provoqué cette mauvaise récolte. Il semble que ce soit la raison principale cette année, au-delà de toutes les raisons qui font que la production de miel est en difficulté. Le changement climatique impacte fortement les plantes et donc la production de miel. Dans les Landes, cela fait environ trois ans que nous sommes vraiment touchés, mais nos collègues du Gard ou de l’Hérault, qui produisent du miel de garrigue, tirent la sonnette d’alarme depuis 10 ans sur les conséquences du changement climatique.

Le changement climatique impacte fortement les plantes et donc la production de miel.

LAL : Outre le changement climatique, à quelles problématiques faites-vous face ?

T.M. : La difficulté numéro 1, selon moi, est un problème sanitaire. À travers ma pratique dans la forêt landaise, je constate que notre principal ennemi est le varroa. C’est un parasite important de l’abeille qui cause un effondrement des colonies d’abeilles domestiques. Il attaque aussi bien le couvain que les abeilles adultes et représente une véritable porte d’entrée pour tous les virus. Nous avons à notre disposition des médicaments homologués –allopathiques et organiques- pour traiter le varroa, mais le cortège de virus qu’il entraîne génère une situation compliquée d’un point de vue sanitaire. Il faut bien comprendre que l’impact n’est pas homogène : il y a des colonies qui sont très résilientes et d’autres qui n’arrivent pas à surmonter ce problème. Et ce qui est difficile en production, c’est justement d’avoir un cheptel homogène. On se trouve bien souvent avec des ruches très productives et d’autres qui ne produisent pas de miel.

Il y a une réelle difficulté à structurer économiquement notre filière.

LAL : Quelles sont les solutions pour améliorer cette situation sanitaire ?

T.M. : Les vétérinaires s’intéressent et commencent à être bien formés à l’apiculture, mais on ne parvient pas encore à les recevoir sur nos exploitations pour qu’ils travaillent comme ils le font sur les autres exploitations d’élevage. Aujourd’hui, je pense que les apiculteurs sont un peu livrés à eux-mêmes sur cet aspect. En cas de problème sanitaire, nous pouvons seulement changer la reine de la colonie car il y a très peu de médicaments face aux maladies. On joue sur la capacité de nos colonies à être résilientes plus que sur des actes vétérinaires, mais ça ne suffit pas. Concrètement, personne ne sait faire l’autopsie d’une colonie d’abeilles. Donc face à la mort d’une colonie, on peut faire des hypothèses mais on ne connaît pas réellement les raisons. Des progrès dans ce domaine nous permettraient sans doute d’y voir un peu plus clair. Mais je sais parfaitement que ce n’est pas simple.

Beaucoup d’agriculteurs font appel aux apiculteurs pour assurer une bonne pollinisation des cultures.

Les Ruchers du Born ruchettes et bruyère

Les Ruchers du Born ruchettes et bruyère © D. R.

LAL : Les Landes sont une région agricole, avec notamment la culture du maïs. L’utilisation de produits phytosanitaires a-t-elle aussi un impact sur les abeilles ?

T.M. : L’utilisation des produits phytosanitaires est encadrée mais, selon moi, cette réglementation date un peu et il faudrait l’adapter en tenant compte des derniers résultats des études scientifiques. Aujourd’hui, il y a des molécules homologuées dont les tests d’homologation n’étaient pas très pertinents par rapport aux effets sublétaux sur les abeilles. Récemment, l’Institut de l’abeille (Itsap) a développé un test qui les met en évidence. Il vient d’être validé et devrait donc rentrer maintenant dans les batteries de tests de pré-homologation des molécules phytosanitaires. C’est une super bonne nouvelle pour les abeilles et pour les apiculteurs. En parallèle, il y a un débat législatif autour de ce qu’on appelle « l’arrêté abeille » qui régit les conditions d’utilisation des insecticides sur les cultures en fleurs en vue des protéger les abeilles. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) préconise une interdiction de ces traitements élargie aux herbicides et aux fongicides et une reprise des molécules qui bénéficient de la mention abeille car on a mis en lumière la nocivité des certains produits qui portent pourtant cette mention.

50 % du miel produit en France est vendu en direct par les apiculteurs.

LAL : Les relations entre agriculteurs et apiculteurs sont- elles tendues ?

T.M. : Les relations au quotidien, sur le terrain, sont bonnes. On travaille ensemble, on partage nos savoir-faire et nos connaissances et, de cette manière, on se comprend mieux. On connaît mieux les limites et les besoins des uns et des autres. Il faut savoir qu’il y a beaucoup d’agriculteurs qui font appel aux apiculteurs à qui ils louent des ruches pour assurer une bonne pollinisation des cultures. Chez nous, le meilleur exemple est le kiwi de l’Adour. Beaucoup de ruches sont déplacées dans les vergers de kiwis pour assurer la pollinisation. Elle permet d’obtenir des fruits plus gros et de meilleure qualité gustative. Mais je comprends, vu de l’extérieur, que les gens puissent se poser la question parce qu’il peut parfois y avoir un dialogue de sourds entre la nécessité de protéger les pollinisateurs et le besoin de ne pas être dans une impasse technique pour les agriculteurs. On comprend qu’il y a des enjeux économiques pour les agriculteurs, comme il y en a pour les apiculteurs. Finalement, la question centrale est celle de l’arbitrage politique. Quand la discussion devient difficile entre deux acteurs, c’est un arbitrage qui doit s’opérer. Encore faut-il que celui-ci soit effectué de manière juste, par des acteurs politiques qui connaissent les sujets et les problématiques respectives.

LAL : La question économique est, elle aussi, au centre des préoccupations des apiculteurs.

T. M. : On est soumis au marché mondial et à une falsification importante venant de l’Asie. Les Chinois produisent de faux miels qui, en France, partent principalement vers l’industrie. Cette concurrence pénalise le prix du miel des producteurs français. De leur côté, les États-Unis ont décidé de taxer le miel chinois à 200 %. Ce sont des moyens douaniers qui permettent de lutter contre ce dumping. Mais l’Europe n’a pas fait ce choix pour le moment. Aujourd’hui, il y a donc une réelle difficulté à structurer économiquement notre filière même si, actuellement, nous avons une sous-production de miel et une augmentation de la demande.

Les Ruchers du Born Lénaïc Lecrenais apiculture

Les Ruchers du Born, Lénaïc Lecrenais, apiculteur © D. R.

LAL : Quels sont vos leviers pour valoriser au mieux votre production ?

T. M. : Tout d’abord, les apiculteurs vendent de plus en plus en direct. On estime aujourd’hui que 50 % du miel produit en France est vendu en direct par les apiculteurs. Par ailleurs, nous sommes en plein travail avec l’Institut national de l’origine et de la qualité (Inao) pour obtenir une Indication géographique protégée (IGP) miel des Landes. C’est un travail qui a débuté il y a longtemps, mais qui est en train de se finaliser. Cela va permettre de valoriser nos produits et de proposer un miel certifié aux consommateurs. Il n’y aura pas de tromperie sur l’origine grâce à l’IGP. C’est un gage de qualité.

LAL : Constatez-vous un engouement ces dernières années pour les produits de la ruche ?

T.M. : On sent bien que les gens s’intéressent de plus en plus aux abeilles. Beaucoup de gens désirent avoir une ruche dans leur jardin pour voir les abeilles de plus près et découvrir ce monde apicole. C’est une bonne nouvelle, même si je ne suis pas sûr que cela ait des effets sur la consommation globale. Elle est en très légère augmentation, mais les Français ne mangent pas beaucoup de miel : 650 g par personne et par an (y compris avec le miel utilisé dans l’industrie).

L’abeille, c’est un monde absolument passionnant.

LAL : Avez-vous un conseil à donner aux particuliers qui souhaitent s’initier à l’apiculture ?

T.M. : Je trouve ça très bien que les gens s’intéressent à l’abeille car c’est un monde absolument passionnant. On encourage les gens qui viennent nous voir à la ferme et qui nous demandent des conseils. Mais il faut bien comprendre qu’on ne s’occupe pas d’une colonie d’abeilles comme on s’occupe d’un animal de compagnie. C’est un monde à part qu’il faut découvrir, appréhender. C’est un monde qui a ses propres maladies et là on retombe dans la problématique sanitaire. Des ruches mal soignées peuvent avoir un impact sur nos propres ruches ; les parasites et les maladies se transmettent et ce n’est pas anodin. Donc, à la fois on encourage les gens à avoir des ruches, mais aussi à se former. C’est primordial.

BLEU BLANC RUCHE, UNE MARQUE ENGAGÉE

Chef d’exploitation aux Ruchers du Born, Thomas Mollet est également cofondateur, avec Arnaud Montebourg et trois autres associés, de la marque Bleu Blanc Ruche. Fondée en janvier 2018, elle a pour objectif de « valoriser à sa juste valeur le travail des apiculteurs français et d’accroître le nombre d’abeilles sur le territoire français », explique Thomas Mollet. Présentée comme une « marque de combat en faveur du repeuplement des abeilles », Bleu Blanc Ruche est un engagement fort pour le consommateur. Les miels sont en effet 100 % Origine France Garantie et ne sont pas mélangés. Pour les apiculteurs, c’est également un contrat gagnant-gagnant : la marque s’engage à acheter les miels à un prix supérieur aux cours et, en échange, les apiculteurs s’engagent à investir dans leur ferme pour accroître leur cheptel d’abeilles. Une démarche vertueuse qui a convaincu Thomas Mollet de se lancer dans l’aventure aux côtés de l’ancien ministre de l’Économie.