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Le gemmage 2.0 : interview avec Cyrille Fournet, président de Gemme la forêt d’Aquitaine

L’association Gemme la forêt d’Aquitaine mène des expérimentations pour réinventer et remettre au goût du jour l’exploitation de la résine du pin des Landes. Promenade en forêt avec Cyrille Fournet, son président.

Cyrille Fournet, Président de l’association Gemme la forêt d’Aquitaine, gemmage

Cyrille Fournet, Président de l’association Gemme la forêt d’Aquitaine © Hubert Raffini

Les Annonces Landaises : Pourquoi vouloir réactiver une activité disparue depuis la fin des années 1970 ?

Cyrille Fournet : Les raisons sont économiques, écologiques et sociologiques. Vouloir réamorcer le gemmage de la résine naturelle se justifie pleinement car il y a des marchés de niche à plus forte valeur ajoutée que le cours du marché mondial dicté par les leaders chinois et brésiliens. La tâche est difficile, mais pas impossible si on investigue suffisamment pour imaginer le gemmage 2.0. Je rappelle que le Portugal et l’Espagne produisent toujours. Notre objectif est de finaliser une méthode de collecte simple et efficace, peu coûteuse, que même les petits propriétaires forestiers landais pourraient mettre en œuvre comme complément de revenu.

Notre objectif est de finaliser une méthode de collecte simple et efficace, peu coûteuse, que même les petits propriétaires forestiers landais pourraient mettre en œuvre comme complément de revenu

LAL : Que représente le marché mondial, aujourd’hui ?

C.F. : Les besoins planétaires en résine naturelle pour la production de colophane et de térébenthine sont constants et de l’ordre de plus d’un million de tonnes par an. En 1934, la France produisait 174 000 tonnes. C’était l’âge d’or. Nous occupions ainsi le 2e rang mondial. Aujourd’hui, il n’y a plus aucune production et nous importons la totalité de nos besoins, alors que la matière naturelle renouvelable est présente partout dans nos forêts. Le travail de l’association Gemme la forêt d’Aquitaine, aidée par le conseil départemental des Landes, est d’expérimenter et de promouvoir la collecte de la résine naturelle sur le territoire, afin d’amorcer une relocalisation de la production de cette matière renouvelable biosourcée.

LAL : Il serait plus écologique de produire sur place ?

C.F. : Je vous laisse imaginer l’empreinte carbone d’un baril de résine qui arrive de Chine. Un seul exemple. Les cures thermales landaises utilisent des produits locaux comme l’eau ou le péloïde, mais également de la térébenthine produite bien loin d’ici. S’il y avait une térébenthine made in Landes, tout le monde aurait à y gagner. Le produit serait plus naturel. Sa production plus écologique. Avec un coût raisonnable, l’image du thermalisme à la landaise serait renforcée.

Pinède, gemmage

Pinède © Hubert Raffini

LAL : Où se déroulent vos recherches ?

C.F. : Nous avons une convention avec la commune de Saint- Vincent-de-Paul, propriétaire de forêts qu’elle met à notre disposition et avec l’Office national des forêts (ONF) qui les gère. Nous ne travaillons que sur des arbres non matures de 20 à 30 ans qui ont été marqués pour l’éclaircissage. C’est un point fort de notre étude qui vise à démontrer que l’on n’est pas obligé d’attendre 60 ans pour exploiter une parcelle. Pour mesurer tous les facteurs pouvant influencer la production, nous menons notre expérimentation sur des parcelles de landes sèches, humides et mésophiles.

LAL : Quelles sont les méthodes de récolte ?

C.F. : L’ancienne méthode « Hugues », du nom de son inventeur, brevetée en 1845, consistait à faire une entaille sur l’arbre avec le fameux hapchòt (hache en gascon) et à récolter la résine dans un pot en terre cuite. Cette méthode qui a façonné l’image de notre département -on la voit encore sur des cartes postales- est désuète. Aujourd’hui, nous utilisons la méthode Borehole avec perçage d’un trou et injection d’un activant, également appelé stimulant.

Les besoins planétaires en résine naturelle pour la production de colophane et de térébenthine sont de l’ordre de plus d’un million de tonnes par an

LAL : On ne retrouvera donc pas les fameux pots de résine ?

C.F. : Le gemmage moderne s’oriente vers des techniques de récolte en vase clos, à partir de piques (blessures spécifiques au gemmage) réalisées avec une fraise. Autrefois longues et parallèles au fût du pin, ces piques sont aujourd’hui rondes. La résine s’écoule dans un contenant en matière plastique imperméable à la térébenthine et étanche à l’air à travers un petit tube inséré dans la pique. Afin de prolonger la durée d’écoulement -limitée a quelques jours en conditions naturelles-, il est nécessaire d’injecter un activant. Après environ deux semaines d’écoulement, il est possible de procéder à une deuxième pique. La saison dure de trois à quatre mois, correspondant aux mois les plus chauds.

LAL : Où en êtes-vous de vos investigations ?

C.F. : Nous en sommes à la cinquième campagne et les résultats sont très encourageants. Nous avons testé cette année quatre activants. Ils stimulent la coulée de résine et nous avons récolté plusieurs fûts de gemme. La méthode utilisée s’avère fiable, simple et accessible à tous. À mon sens elle ouvre des perspectives. Nous sommes sur le bon chemin et nous avons encore des marges de progression. Pour cela, nous mènerons en parallèle de la prochaine production, en 2022, de nouvelles expérimentations.

COLOPHANE ET TÉRÉBENTHINE

Classiquement, cette résine est transformée en deux produits principaux, la colophane (70 %) et l’essence de térébenthine (30 %) qui est une substance complexe composée d’une multitude de molécules chimiques aux diverses propriétés, dominées par l’α-pinène (75 %), le β-pinène (15 %) et le limonène (2,5 %). Les anciens systèmes de distillation n’obtenaient que des résultats médiocres : 65 % de colophane, 15 à 20 % d’essence de térébenthine, et une forte proportion de déchets (15 à 20 %), et donc de pertes.

LAL : La production européenne se centre sur l’Espagne et le Portugal. Vous revenez de Soria, en Espagne, où vous avez rencontré des gemmeurs. Quelles sont les ouvertures possibles ?

C.F. : Le séjour a été très prolifique. J’ai rencontré des professionnels qui se sont montrés très intéressés par nos essais. Ils m’ont apporté de nouvelles informations qui vont nous aider à améliorer encore notre protocole. Avec les Espagnols et les Portugais nous avons décidé de créer le Réseau européen des territoires résineux (RETR). Saint-Vincent-de- Paul s’apprête à intégrer ce réseau et deviendra la première commune landaise à s’engager aux côtés des communes girondines de La Teste et du Porge qui conduisent déjà des expérimentations de gemmage.

LA GEMME N’EST PAS LA SÈVE DU PIN

Il ne faut pas confondre la gemme ou résine, avec la sève du pin. La sève circule dans l’arbre, entre les racines et les feuilles, et sert au transport de l’eau et des substances nutritives. La gemme, elle, est un produit de cicatrisation que le pin élabore et tient en réserve dans ses canaux résinifères, et qu’il a la possibilité d’envoyer en réaction aux agressions : blessures, attaques d’insectes…

LAL : Dans une optique de reprise de l’exploitation de la gemme, et sur fond de révolte des métayers gemmeurs du XIXe siècle, il y aura également à gérer un volet social ?

C.F. : Nous sommes aujourd’hui fort heureusement loin de ces conditions bien que la forêt demeure propriété privée à plus de 90 %. Le domaine public (État, département, et communes) n’en possédant que très peu. Dans l’optique d’une reprise de la collecte de résine, saisonnière par nature, il conviendra bien sûr de réfléchir aux structures à mettre en place, notamment sur le plan social et professionnel. L’essentiel est que naissent des initiatives individuelles ou même collectives chez les propriétaires.

Récole de la gemme

Récole de la gemme © D.R.

CONFÉRENCE SUSTFOREST+

La vidéo promotionnelle de l’association landaise Gemme la forêt d’Aquitaine a été présentée lors de la conférence finale de SustForest+, les 9 et 10 novembre derniers à l’hôtel de région de Bordeaux. Cette dernière est disponible sur le site de l’association (1) et sur Youtube. Cette rencontre a été, pour les acteurs du monde forestier et de la transformation de la résine naturelle, l’occasion d’avoir un aperçu exhaustif de tous les travaux menés sur le sujet. Ont été présentés les nouvelles techniques de récolte, la rentabilité et les marchés internationaux, les outils marketing de traçabilité et d’évaluation de la qualité des gemmes, ainsi que les propositions d’amélioration des conditions de travail des résiniers.

Cette conférence était organisée conjointement par l’organisme européen Interreg Sudoe partenaire du projet SustForest +, l’Institut européen de la forêt cultivée, le Centre national de la propriété forestière, la Région Nouvelle-Aquitaine ainsi que 32 autres partenaires issus de France, d’Espagne, du Portugal et du Brésil. (1) www.gemme-la-foret.fr